jeudi 14 janvier 2010


> AYITI

Une rue. Hier soir. 22 heures.
Sur un muret, un gant noir, trouvé/posé pointe un index rageur vers le ciel.

Dans le pub, deux cons tournent le dos à l’écran géant crachotant des images de Saint-Etienne – OM et font face à l’assemblée pintes à moitié vides, hypnotisée par des manchots en short. Francis et moi sommes bouleversés. Il vient de croiser le regard de cette brune magnétique. Il vide d’un trait son verre et me glisse dans le brouhaha « tu vois la p’tite là, pleine de charme ? Dans une heure, elle va être pleine de foutre ». CQFD. L’OM égalise. Je hais le foot. Je veux partir mais Francis est déjà barré à l’autre bout du bar. Petits signes. Contact. Sourires. Il commande deux verres. Mon voisin de gauche qui est de droite me marmonne un truc du genre « t’as vu Haïti ? ». « Nan j’ai pas vu Haïti », « Haïti c’est fini, dire que c’était la ville de m… ». Qu’est-ce qu’il va me faire ce couillon ? Pleurer à chaudes larmes sur cette injustice venue des profondeurs de la terre ? Me dire que c’est pas possible, qu’il faut faire quelque chose ? Qu’est-ce que tu veux faire quand t’as rien fait que de défaire sans relâche chaque espoir d’amélioration, de promesses d’une vie meilleure dans cet océan de misère et de honte qu’est devenu ce pays au destin brisé par la cynisme de l’Occident ?
Tu veux te faire chier un instant ? T’es sûr ?
Haïti est certainement l’un des pays les plus pauvres et misérables du monde. C’est comme si dieu se gardait sous le coude une petite garçonnière pour ses parties sado-maso dominicales. Dans ce pays où les corbeaux volent à l’envers pour ne pas voir la misère, on compte un taux de chômage de plus de 65 % (pour autant de feignasses dixit Darcos et Sarkozy) et plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, dans une misère abjecte, immonde, principalement dans la capitale Port-au-Prince (2 millions d’habitants jusqu’à hier) et dans les bidons villes, comme la Cité Soleil. 
Autant te le dire tout de suite, t’es pas prêt d’y trouver un Apple Store.

Si t’as cinq minutes de ton précieux temps à perdre, tu peux lire la suite ou tu peux directement sauter les prochaines lignes et ta voisine pour arriver plus rapidement à la fin/à tes fins. Je t’en prie.
On va se la faire rapide rapide.
Le 5 décembre 1492, Cristobal Colomb se racla la gorge en essuyant son bout turgescent avec du sopalin, remonta son pantalon, renvoya le capitaine Martin Alonso Pinzon sur la Pinta et découvrit Haïti, qui ne s’appelait pas encore comme ça car il n’y avait pas de panneaux. Du coup, il la nomma Hispaniola. On estime à 100 000 la population avant l’arrivée des colons, principalement composée d’Arawak, de Caraïbes et de Taïnos. Quelques décennies plus tard, ces peuples seront morts ou réduits à l’esclavage, bien avant la naissance de Sarkozy, Hortefeux ou Besson.  En 1517, Charles Quint instaure l’esclavage et le couvre-feu dès 16h45 pour les jeunes qui tiennent les murs des cités (en maigre, tout ce qui est jeune, à capuche et qui parle le verlan).
La partie Ouest de l’île, dépourvue de ressources, de minerai est délaissée par ces cons d’Espagnols, trop occupés à préparer la coupe du monde de foot qui se tiendra moins de 500 ans plus tard en Afrique du Sud. Des boucaniers français s’y installent et développent la partie de l’île si bien qu’au XVIIème siècle Richelieu institutionnalise l’installation française sur ces terres. Un gouverneur est même nommé : Bertrand d’Ogeron règne alors sur la colonie (1665). Puis on développe les plantations de tabac, de marie-jeanne, d’indigo et de canne à sucre. Puis ce canard boiteux de Colbert (c’est mauvais mais c’est mon nouveau blog) instaure le Code Noir (je t’en reparlerai bientôt, tu vas a-do-rer). Vers 1790, l’île est la colonie française la plus riche de toute l’Amérique, grâce aux juteux profits des industries du sucre et de l’indigo principalement générés par le travail des esclaves (des dizaines de milliers d’Africains massacrés, enlevés, déportés et amenés sur cette île perdue pour y travailler et y mourir). Puis la révolution ratée française (parce qu’elle était surtout bourgeoise et contre l’aristocratie) change lentement la donne.
En 1793, c’est la révolte des esclaves (ces chiens, tu leur donnes tout : pas de gîte, pas de couvert, juste des coups de fouet sur la tronche si t’oses lever la tête et voilà comment t’es remercié). On veut abolir l’esclavage, ben voyons. Pour calmer le jeu, un gouverneur noir est nommé par la France : c’est Toussaint Louverture. Il rétablit un semblant de paix, chasse à coups de lance-roquettes (grâce aux rétro-commissions de l’Angolagate versées par le directeur de campagne d’Edouard Balladur) les derniers Espagnols et Anglais hostiles au changement. Louverture apporte la prospérité et un certain calme grâce à des mesures audacieuses : il promulgue une constitution autonomiste si bien que Napoléon (aidé par les Créoles et la bourgeoisie locale) envoie 30 000 hommes sur l’ile pour lui apprendre à vivre et refermer Louverture en rétablissant l’esclavage bordel de dieu. Malgré quelques petites victoires ici et là, les troupes françaises de Rochambeau (le magnifique) sont finalement battues. Une indépendance totale est alors proclamée le 1er janvier 1804.
C’est ainsi qu’Haïti devient le premier pays au monde à rendre l’abolition de l’esclavage effectif.

Qu’est-il arrivé à ce pays si prometteur, avec son destin bien en mains au début du 19ème siècle ?
De 1806 à 1915 environ, une période de grande instabilité dévore le pays : partition de l’île, puis réunification, différents gouverneurs avides s’emparent du pouvoir, souvent contestés par l’armée, les élites et la classe marchande. Lentement le pays s’enfonce dans le chao et s’appauvrit. Haïti au début du 20ème siècle est en état d’insurrection permanente. Tout le monde se barre avec la caisse, c’est devenu un sport national, à tel point que les pays d’Amérique du Sud commencent à faire la tronche car leur suprématie dans cette discipline est fortement contestée. Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les Etats-Unis annexent l’île et squattent les terres de 1915 à 1934, certainement pour étudier la viabilité d’une franchise McDonald’s à Port-au-Prince.
De 1957 à 1986, les Duvalier, papa puis fiston (papa Doc, baby Doc) (un peu comme chez nous d’ailleurs, d’ailleurs le prince Jean vient d’avoir un enfant donc tu viens automatiquement d’en prendre encore pour 50 ans) règnent en dictateurs sur l’île. Ils mettent en place un système oppressant basé sur la délation, les arrestations arbitraires, les disparations, les meurtres, les viols, l’extorsion, saupoudré de vaudou, le tout orchestré par les Tontons Macoutes (une milice crée par Papa), mais je t’en reparlerai très bientôt dans un dossier introuvable en librairie mais disponible chez moi à toute heure de la nuit ou de la nuit, chérie.
1990 c’est l’année de l’espoir et du renouveau. Jean-Bertrand Aristide est élu président. Homme du peuple, simple et apprécié, il prend ses fonctions le 7 février 1991 mais il est renversé en septembre de la même année par des militaires chauffards et par la bourgeoisie, encore elle. Rétablit en 1994, il est réélu en 2000 avant de partir en vrille et d’appliquer le même régime que les Duvalier à l’exception près que ses milices ne s’appellent plus Tontons Macoutes mais Chimères. 
Bref, Aristide est un enculé comme les autres.
Et puis plus rien.
Chao.
Destruction.
Mort.
La sainte Trinité.

A ma gauche mon voisin de droite a disparu. Francis me regarde le mains dans les poches puis repart au fond de la salle.
L’Occident porte une lourde responsabilité, comme un génie malfaisant qui détruit tout ce qu’il touche plus vite qu’un tremblement de terre ou qu’un tsunami.
Haïti, comme métaphore absolue de la dérive des continents, la tectonique des plaques sociales, humaines ou géologiques. Haïti c’est fini, c’est fait.

Pour terminer, une phrase hallucinante trouvée sur le site du NouvelObs.
J’apprends que le ministère de l’Immigration annonce la suspension des procédures de reconduite vers Haïti… . Jusque là, ça ne posait pas de problème. La misère et la pauvreté, l’insécurité et la violence n’empêchaient pas une nouvelle déportation, une autre tragédie. Mais comme les Bronzés ont morflé, on va lever le pied. Le temps que Bouygues reconstruisent deux trois bicoques de merde pour reloger les crèves-la-dalle et autres sans papiers ? Le temps qu’Air France débloque quelques places dans ses avions blancs ? Le temps d’organiser les listes, de référencer les personnes, les proches venus spontanément prendre des nouvelles et renvoyer tout le monde là-bas, une fois les caméras éteintes et rangées ?
T’inquiète, l’OM a gagné.

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7 commentaires:

cee a dit…

Francis peut se réjouir, s'il avait gagné au Lotofoot, ça fait longtemps qu'il serait parti dans cet îlot paradisiaque qui fut aussi le berceau du sympathique virus qui tuent tous ceux qui ont les couilles un peu trop pleines et qui, comme lui, ont un penchant avéré pour la sodomie des singes.

Au fond, Francis est un chanceux, même si ses couilles débordent ( la coupe est pleine ).

annaK a dit…

Je fais des efforts démesurés pour trouver un truc à dire, pas même intelligent hein, j'ai pas cette prétention, mais pitin, je suis sans voix après une note comme ça.
C'est du lourd.


Ce Francis il est VRAIMENT trop con.

Unknown a dit…

C'est gentil Nanak, je m'sentais un peu seule.

AnnaK a dit…

Tu crois qu'on les a fait fuir ?

julip a dit…

si je résume un haitien(s) vaut pas mieux que deux tu l'auras...

griz a dit…

quand je pense que l'histoire géo va devenir optionnelle, (par contre, le foot obligatoire?)

Unknown a dit…

C'est quand Clearstream pour les Nul(le)s ?